Situation
des forets sacrées
au Bénin et au Togo

par "Ensemble Allons dans la Paix"


Au Togo et au Bénin, les fragments de forêts qui subsistent sont essentiellement des forêts sacrées, de faible superficie, dispersées, mais très variées en termes de typologie et d’affectation cultuelle. Dans cette région, dépourvue de massifs forestiers conséquents, les forêts sacrées abritent néanmoins une part non négligeable de la biodiversité. Des propositions sont faites pour une gestion durable de ces espaces.

Les forêts sacrées du couloir du Dahomey

Au Bénin et au Togo, les forêts sacrées sont signalées depuis très longtemps. Elles sont très nombreuses, relativement petites et interviennent dans la protection de la faune et de la flore forestières de ces deux pays du couloir sec du Dahomey. Cette étude a permis de faire une typologie de ces forêts sacrées, en s’appuyant sur la perception des populations locales. Plusieurs espèces d’arbres et espaces forestiers sont ainsi considérées comme des habitats d’une multitude de divinités vénérées par les populations locales. Ce sont des arbres sacrés isolés, des forêts des ancêtres, des forêts cimetières, des forêts de dieux ou de génies, des forêts de sociétés secrètes, etc. Très protégés auparavant pour leur rôle social, culturel et de conservation de la biodiversité, ces arbres et forêts sacrés sont actuellement menacés de disparition. La mise en oeuvre d’une gestion durable s’avère urgente pour leur sauvegarde.

Des caractéristiques variées

À l’issue des grandes conventions de Rio en 1992, la gestion durable des ressources naturelles et la conservation de la diversité biologique sont devenues une préoccupation majeure pour les États Parties. Nombre d’espaces forestiers qui étaient auparavant négligés intéressent désormais les scientifiques et les organismes de conservation, qui ont engagé des actions de sauvegarde et de gestion durable.

Sur le continent africain, les forêts sacrées sont signalées depuis très longtemps. Ceux qui soutiennent la thèse d’un déboisement exagéré dans le couloir du Dahomey ont vu en ces îlots de forêt les vestiges d’une ancienne forêt continue sur toute la côte ouest africaine. Des études récentes ont montré que ces fragments de forêt sont essentiellement des forêts sacrées, très nombreuses, relativement petites (entre quelques ares et 40 ha, parfois plus) et variées du point de vue physionomique, ethnique, géomantique, socioculturel et politique.
La variété des rites pratiqués dans ces forêts constitue une richesse culturelle exceptionnelle et fondamentale pour l’identité des populations de ces pays. Elles sont les lieux de résidence des dieux et des ancêtres auxquels les populations assignent un rôle protecteur de leur communauté ou de leur village. Les cérémonies y sont régulières pour diverses raisons (danses de purification et d'initiation, intronisation des chefs traditionnels, anomalies climatiques, événements nuisibles aux cultures, épidémies, réparations des dégâts dus à la foudre…).
En outre, elles constituent un refuge pour beaucoup de végétaux et d’animaux dans des environnements très fortement anthropisés et écologiquement fragiles. Certaines forêts abritent des sources d’eau qui alimentent les villages. Des récoltes de fruits, de bois, de plantes médicinales, de fourrages, de lianes y sont parfois autorisées.

Au Bénin et au Togo, la nomenclature traditionnelle de ces espaces forestiers s’appuie fortement sur le culte vaudou ou vaudoun. Le culte vaudou prend lui-même appui sur le culte fa ou afa et la géomancie qui lui est liée. Le terme fa désigne à la fois le dieu de la communication entre les autres dieux, les ancêtres et les hommes, l’objet de la divination qui lui correspond, mais aussi sa technique. Les offrandes sacrificielles, qui sont les reconnaissances aux dieux interrogés par le fa, se font à un endroit précis du terroir qui abrite le dieu ; celui-ci peut être un cours d’eau, une montagne, un rocher mais très souvent un arbre ou une forêt.

L’objectif de cette étude n’est ni de revenir sur le concept de forêts sacrées ni sur leurs rôles social, culturel et conservateur de biodiversité mais d’établir une typologie de ces espaces forestiers traditionnels tels que perçus par les populations locales. Puis face à la dégradation de plus en plus forte dont ils font actuellement l’objet, des propositions sont faites pour une gestion durable de ces sanctuaires de la biodiversité forestière.

Situation du Bénin et du Togo dans le couloir du Dahomey.
Diversité des arbres et des forêts en relation avec la multiplicité des dieux

La variété des forêts sacrées entraîne aussi une diversité de concepts liés notamment aux fonctions qui leur sont assignées, à la multiplicité des divinités, aux légendes qui marquent leur origine, à la nature du totem qui engendre des tabous culturels et alimentaires et aussi à la diversité des habitats. Il s’agit d’arbres sacrés, de réserves de chasse, de forêts des ancêtres, de cimetières, de forêts de dieux ou génies, de sociétés secrètes ou masquées.

Arbres sacrés

L’arbre sacré est un arbre particulier auquel un adepte est lié pour sa vie entière. Cet arbre est un « double végétal » de l’individu ou de la famille, à la fois symbole et « ange gardien ». L’adepte s’identifie aux qualités que représente l’arbre, par exemple force et grandeur du baobab, richesse et abondance du palmier à huile et splendeur de l’iroko. Il vient demander de l’aide, avantage ou succès, à cet arbre et il le remercie en cas de bienfait. Seules certaines espèces locales sont sacrées. Parmi ces arbres, certains incarnent les mauvais esprits et sont craints, c’est le cas du baobab au sud du Togo ou du lingué au nord du Bénin et du Togo.

Forêts des ancêtres

Les forêts des ancêtres (Togbévé au Togo et Togbozoun au Bénin) abritent l’esprit de ceux-ci. Généralement, c’est là que repose le premier occupant du village. Certaines de ces forêts servent encore de cimetière aux dignitaires, dans les villages. Il peut arriver que la sacralité d’une forêt des ancêtres soit renforcée à la suite de l’installation spontanée d’un arbre sacré comme Milicia excelsa. Ces forêts peuvent être regroupées en trois catégories :

  • Les forêts personnelles ou individuelles sont protégées par une personne, en l’honneur des ancêtres et des dieux, pour sa propre sécurité et son bien vital.

  • Les forêts communautaires.
    Les rites ne concernent que les membres d’une famille particulière. Certains de ces rites familiaux peuvent, néanmoins, se pratiquer au profit de la communauté. Elles se situent sur des sites très particuliers ayant marqué la communauté dans des périodes guerrières de son histoire (lieu d’un combat, lieu de la maison de l’ancêtre commun). L’existence d’anciens vestiges (pierres de soutènement des greniers, pierres de foyers, meules, éclats de poteries) en leur sein confirme qu’il s’agit d’anciennes habitations. Certaines espèces végétales marquent ces lieux, notamment en zone soudanienne.

  • Les forêts sacrées mixtes sont des forêts sacrées familiales ou personnelles, dont les bienfaits peuvent profiter à toute la communauté. C’est le cas de la plupart des forêts sacrées de la région centrale du Togo.

  • Forêts cimetières
    Les forêts cimetières servent de cimetière pour les personnes qui décèdent suite à un accident de route, un incendie, une femme morte en état de grossesse, un enfant mort d’une épidémie de variole, varicelle, rougeole, une personne foudroyée ou noyée. De peur de subir le même sort que les morts qui y sont enterrés, ces forêts étaient craintes et respectées jusqu’à une époque récente. De nos jours, elles sont délaissées et mises en culture du fait de la forte pression anthropique, surtout dans les zones où la terre est un facteur limitant.

  • Forêts des dieux ou de génies
    Les forêts des dieux ou de génies abritent les dieux ou génies, en principe protecteurs des populations. Elles sont les plus nombreuses au Bénin (fréquence de l’ordre de 60 %) et peuvent abriter plusieurs divinités : Danzoun ou forêts du génie Dan (dieu serpent), Xèbiossozoun ou forêts du dieu Xèbiosso (dieu de la foudre), Sakpatazoun ou forêts du génie Sakpata (dieu de la terre), Lissazoun ou forêts du dieu Lissa (symbolisé par le caméléon).
    Au sud du Togo, les Nyigbenvé sont des forêts du dieu serpent, symbolisé par l’arc-en-ciel. Ces forêts sont parfois associées parce qu’elles sont issues d’un ensemble qui s’est scindé. La portion la plus grande est la « forêt mâle » associée à la petite portion qui est la « forêt femelle ».
    Il existe aussi des forêts dites « forêts sacrées principales» qui sont consultées seulement en cas de problèmes très graves et lorsque les forêts sacrées « inférieures» sont incapables de trouver des solutions (épidémie meurtrière, sécheresse persistante, etc.).
    Les forêts sacrées d’importance secondaire sont consultées plus fréquemment. Elles sont intégralement protégées et, le jour des cérémonies, leur entrée n’est strictement permise qu’aux initiés. Certaines sont traitées par le feu, une fois par an.
    Il s’agit de feux rituels qui sont allumés uniquement le jour des cérémonies. Ce rituel a pour but d’observer la fumée, son comportement constituant un présage qui est interprété par le prêtre coutumier.
    Dans d’autres forêts sacrées, des coupes rituelles sont pratiquées une fois par an et toute la communauté se retrouve le jour des cérémonies pour procéder au prélèvement.

    Forêts des sociétés secrètes ou sociétés masquées

    Au Bénin, certaines sociétés secrètes font leur initiation à l’intérieur des forêts sacrées. Ce sont les Orozoun ou forêts à Oro, les Kouvitozoun ou forêts à Kouvito, les Zangbétozoun ou forêts à Zangbéto (tous ces dieux incarnent les morts et les revenants). Les forêts sacrées cachent ou servent de couvent à ces sociétés.

    Caractéristiques générales des forêts sacrées

    Le nombre et la surface totale des forêts sacrées dans les deux pays ne sont pas connus avec précision. Au sud du Togo, la surface moyenne est environ de 5,6 ha. Beaucoup sont de petits bosquets qui dépassent rarement 200 m2. Au Bénin, 69,4 % des forêts sacrées recensées ont une surface inférieure ou égale à 1 ha, 18,3 % ont une surface comprise entre 1 et 5 ha et les plus grandes forêts (égales ou supérieures à 5 ha) représentent 12,3 %.

    La richesse floristique moyenne des forêts sacrées du Togo est de 75 espèces par forêt. Cette richesse floristique augmente en fonction de la surface. Des inventaires botaniques réalisés dans 160 forêts sacrées du Togo ont permis de recenser 900 taxons, soit 28 % de la flore spontanée et introduite au Togo.
    Ces espèces sont regroupées en 529 genres et 110 familles, dont les plus représentées sont les légumineuses, les Rubiaceae, les Euphorbiaceae et les Moraceae pour les dicotylédones et les Poaceae pour les monoctylédones. Parmi celles-ci, une cinquantaine d’espèces n’avaient pas été recensées auparavant au Togo.
    Au Bénin, la richesse spécifique des forêts sacrées (diamètre dbh égal ou supérieur à 10 cm) varie d’un type de forêt à l’autre et est comprise entre 3 et 55 espèces. Les principaux types physionomiques qui composent ces forêts dans les deux pays se répartissent en quatre groupes:

  • Les forêts semi-caducifoliées ou semi deciduous forests
  • Les variantes sèches des forêts semi-caducifoliées ou dry semi deciduous forests
  • Les forêts denses sèches ou dry forest.
  • Les forêts littorales ou south-east outlier type forest À part ces principaux types physionomiques, d’autres sites sacrés recensés sont des forêts-galeries, des forêts claires et des savanes boisées.

    Pratiques locales de gestion forestière

    Les forêts sacrées sont des exemples de traditions locales qui contribuent au sauvetage de la flore et de la faune menacées de disparition. Plusieurs auteurs ont évoqué la nécessité de tirer certaines leçons de ces systèmes de gestion locale. Mais, actuellement, plusieurs éléments concourent à leur déclin, notamment la croissance démographique, les défrichements et les feux de brousse, l’expansion incontrôlée des habitations, l’érosion des croyances religieuses traditionnelles et la faiblesse du pouvoir des chefs religieux. Pour assurer une gestion viable de ces forêts, il existe une série d’approches qui doivent impliquer l’ensemble des acteurs, notamment les scientifiques, les forestiers et les populations locales. Les grandes lignes des mesures à prendre concernent l’élaboration d’un plan de gestion participative, la création d’un cadre réglementaire et législatif et la formation et la sensibilisation des populations.

    Recommandations pour un plan de gestion

    Les recommandations pour un plan de gestion consistent principalement en quatre types d’actions présentés ci-après.

  • Recenser, délimiter et inventorier les forêts sacrées. L’exiguïté et la multiplicité des forêts sacrées entraînent des difficultés de localisation et l’absence de repères clairs et tangibles de leurs limites facilite leur érosion foncière. Il est essentiel et prioritaire de cartographier ces reliques forestières et d’en matérialiser les limites. Des exemples existent déjà, notamment au Bénin, où les populations locales ont pour habitude d’utiliser des plantes diverses matérialisant sans équivoque les limites des forêts sacrées. À Ouidah, la forêt sacrée Kpassezoun est clôturée et ouverte au public à titre de site touristique.

  • Limiter la pression humaine. Les prélèvements pour l’autoconsommation ne constituent pas une menace pour ces forêts. Il s’agit de concilier la préservation et l’exploitation des ressources. En interdisant tout prélèvement dans une forêt, les villageois s’en désintéressent, puis, lorsqu’ils doivent faire face à leurs besoins croissants, outrepassent les interdits et exploitent de façon anarchique. C’est exactement la situation actuelle dans les aires protégées.

  • Gérer les feux de brousse accidentels et rituels. Un plan de gestion du territoire pour créer des bandes parefeu, à entretenir annuellement, serait nécessaire. L’instruction sur les techniques de feux de brousse dirigés et un encadrement technique compétent permettraient de nettoyer les surfaces nécessaires.
    L’expérience du village Siou, au nord du Togo, pourrait être citée en exemple en ce qui concerne les menaces liées à la destruction des forêts sacrées par les feux rituels. Dans ce village, les pluies devenaient très tardives et, quand les anciens se sont réunis, ils ont réalisé que la forêt, brûlée pour la chasse, était dépourvue d’arbres bénéfiques pour le climat. Le village a donc décidé de replanter du teck, Tectona grandis, et des Eucalyptus spp. Si la solution trouvée n’est pas parfaite, la prise de conscience s’avère intéressante.

  • Établir un plan de gestion et d’aménagement intégré. Ce plan doit lier les objectifs écologique, social, culturel et économique développés par les populations locales, et être appuyé par un partenariat (forestiers, Ong, chercheurs) qui informe, conseille et renforce les liens. Soutenus et pris en considération, les villageois devraient participer activement au plan de sauvegarde de leurs forêts. Pour pallier l’avancée des terres cultivables et la pratique des feux intentionnels, il est indispensable d’établir un système de ceintures consolidant le noyau forestier.
    Une première ceinture, de quelques mètres de large, peut être plantée, de préférence avec des essences locales, adaptées au milieu et qui ne risquent pas de modifier la composition floristique ; cela en s’appuyant sur les limites actuelles des champs. Cette zone tampon devrait établir une limite physique entre la forêt et les champs. Les agriculteurs autour des forêts sacrées doivent procéder au défrichement systématique des parcelles avant la saison sèche. Ils pourront être encouragés à planter des essences forestières à usage de bois d’énergie, pour contribuer au développement du couvert forestier.
    Ces aménagements nécessitent, au préalable, une prise de conscience générale et une volonté de s’investir dans la mise en oeuvre d’un travail communautaire de plantation et d’entretien. Enfin, le plan d’aménagement peut prévoir l’écotourisme ; les forêts sacrées sont généralement proches des villages, faciles d’accès et parfois très belles. En formant des guides, les villages riverains de forêts sacrées de superficie conséquente peuvent créer une association touristique de découverte de la forêt. Cette action communautaire permettrait de créer un fonds villageois à partir des recettes. Cette dernière proposition n’est pas compatible avec le statut de forêt sacrée mais elle vaut bien mieux que l’absence de gestion actuelle, qui conduirait incontestablement à leur disparition.

    Mise en œuvre d’un cadre réglementaire et législatif

    Dans un cadre réglementaire et législatif, des droits d’usage doivent être instaurés et suivre des règles claires et précises pour éviter les débordements. Pour les animaux, il faudrait appliquer effectivement les textes réglementant la vie des espèces protégées.
    Au Togo, il s’agit de l’ordonnance n° 4, du 16 janvier 1968, réglementant la protection de la faune. Au Bénin, c’est la loi n ° 93-009, du 2 juillet 1993, portant Régime des forêts en République du Bénin qui situe le cadre réglementaire de la gestion des forêts des domaines classé et protégé de l’État. Il serait envisageable d’intégrer ces forêts dans le domaine classé (forêts naturelles), mais ceci risquerait de soulever maints nouveaux problèmes fonciers. L’essentiel serait d’adapter les réglementations au contexte actuel.

    Formation et sensibilisation des populations

    Il s’avère nécessaire de sensibiliser les populations riveraines des forêts sacrées sur l’importance écologique et culturelle de ces sites au sein de leur terroir. Ceci suppose d’engager des échanges avec les villageois pour trouver un mode d’aménagement participatif.
    Ces échanges doivent, de préférence, être menés par des Ong locales, mieux acceptées que l’administration forestière. Une autre approche consiste à impliquer directement les agents forestiers, en prenant soin de les accompagner dans un effort de reconversion, pour devenir les éducateurs et informateurs des populations.
    Cette responsabilisation est assujettie à la prise de conscience collective vis-à-vis de l’importance de la forêt, en tant que ressource naturelle et source d’intérêts pour les hommes. À cet effet, une notion générale de la forêt est utile, car la majorité des populations ne connaît que les îlots forestiers proches de leur village. Elles n’ont aucun élément de comparaison possible.
    Il est utile de leur présenter le contexte général de la forêt, au Bénin et au Togo, par rapport aux pays forestiers voisins (Ghana, Côte d’Ivoire, Nigeria). Il s’agit de faire état de la richesse particulière de ces îlots forestiers et de démontrer l’irréparable vitesse de destruction. La prise de conscience du rôle environnemental des forêts sacrées est fondamentale, notamment auprès des jeunes.
    Une sensibilisation et une information préalables du corps enseignant seraient nécessaires à cette action, de même que la mise au point et la diffusion de documents pédagogiques attractifs et adaptés à l’âge du public. Cette action éducative n’est pas la moindre, car elle seule peut garantir que les populations locales continuent à assurer la protection des forêts sacrées, comme elles l’ont fait par le passé. Retenons l’essentiel.
    L’animisme, base des pratiques locales de conservation et la punition des infractions par les divinités en est le fondement.
    Les forêts sacrées dénommées "Avevoin" en Adja, formations végétales hantées par les génies, sont des lieux dont l’accès n’est pas permis à tout le monde. La dénomination "Avevoin" implique un esprit de crainte (ave=forêt; voin=mauvaise=sacrée). On distingue quatre types de forêts sacrées, à savoir: les forêts fétiches, les forêts cimetières, les forêts communautaires et les forêts sacrées non spécifiées.
    Ces forêts appelées en Adja "Vodjouve" ou "Avevodjou" abritent en leur sein des fétiches. Elles représentent 31% des forêts sacrées. Ci-après, un relevé selon le panthéon de la région:

  • Les "Danve". Ils abritent le fétiche Dan. Dan est le dieu qui amène le bonheur, la prospérité, la santé et l’argent à la communauté. Ces forêts représentent 26% des forêts fétiches.

  • Les "Xebiossove". Ils abritent le dieu Xebiosso, fétiche responsable de la pluie, source de vie et de prospérité. Les bonnes campagnes agricoles dépendent de ces forêts car sans pluie il n’y a pas de bonnes récoltes. Elles représentent 7% des forêts fétiches.

  • Les "Sakpatave". Ce sont des forêts abritant le fétiche Sakpata, dieu de la Terre qui est un support indispensable aux activités agricoles. Ces forêts éliminent les maladies épidémiques au sein de la communauté et assurent une bonne qualité des terres cultivables. Elles représentent 9% des forêts fétiches.
    Les "Orove" sont des forêts sacrées au sein desquelles se pratique le culte Oro. Elles représentent 32% des forêts.
    Les "Yeheve" sont des forêts sacrées qui abritent plusieurs fétiches à la fois et plus communément le panthéon Dan, Xebiosso et Sakpata. Elles représentent 25% des forêts.
    On distingue aussi les "Elove" (forêt du fétiche Elo qui signifie crocodile, dieu totémique), les "Koutove" (forêt du fétiche Kouto qui veut dire la réincarnation des morts) qui sont des forêts au sein desquelles se déroulent les cérémonies religieuses et coutumières d’initiation et de transmission de certaines pratiques ancestrales.

  • Les forêts cimetières.
    Les populations locales des départements du Mono et du Couffo distinguent deux catégories de mort: les morts naturels et les morts dangereux.
    Un mort est dit "naturel" quand son décès est dû à une maladie perçue comme faisant partie de l’ordre naturel. La chair humaine étant un élément sujet à la dégradation, les maladies qui emportent les personnes âgées doivent être comprises dans ce contexte et ne sont pas forcément imputables à quelque action ou intention humaine. Seuls les défunts naturels sont enterrés dans les habitations.
    Les personnes qui meurent à la suite d’un accident de circulation, de brûlure de feu, de noyade, de maladies contagieuses et épidémiques et les femmes qui meurent en état de grossesse ou durant l’accouchement ne sont pas enterrées à domicile. Dans le souci d’enrayer les épidémies de maladies contagieuses, ou d’éviter les accidents ou tous les genres de malheur, les forêts quand elles sont sacrées sont d’office préservées.

    Conclusion

    Cette étude a permis de présenter une première approche typologique des forêts sacrées du Bénin et du Togo. Ces forêts, nombreuses mais dispersées, maintiennent tant bien que mal une part de la diversité biologique de ces deux pays, naturellement dépourvus de massifs forestiers conséquents.
    En effet, elles constituent des refuges pour beaucoup de taxa végétaux et animaux ayant disparu des paysages très anthropisés qui caractérisent le Bénin et le Togo.
    Elles recèlent aussi de menus produits ligneux et non ligneux, quotidiennement exploités par les populations locales. C’est le cas de certaines forêts sacrées abritant des sources d’eau qui alimentent des villages qui n’ont pas souvent d’autres moyens pour s’approvisionner en eau.
    Malgré ces services, la gestion actuelle et les conflits autour de ces espaces forestiers entraînent progressivement leur disparition. Les éléments moteurs de ce déclin sont la croissance démographique, les défrichements, les feux de brousse, la pression foncière accrue et la perte progressive d’autorité de la part des chefs de village, voire de l’administration. Une démarche éducative est nécessaire, afin d’obtenir une prise de conscience.
    Il appartient à la communauté scientifique d’assurer un suivi technique des pratiques locales en liaison avec la conservation de la biodiversité et l’environnement, de promouvoir leur reconnaissance et appropriation par tous les acteurs qui interviennent dans la gestion des ressources forestières.
    Les autorités forestières doivent assurer la protection de ces îlots forestiers en établissant des liens de confiance avec les populations locales. Celles-ci doivent être associées à toutes les actions qui pourront être menées pour qu’elles n’apparaissent pas être imposées par une autorité, mais issues d’une prise de conscience collective.